Premières transfusions

Article 4102 du CODEX : Premières transfusions

 

« Médée dégaine son couteau et ouvre la gorge du vieillard, le vidant de son sang. Elle lui remplit les veines d’un riche élixir, par la bouche ou par sa blessure. Sa barbe et ses cheveux n’ont plus la blancheur des années, ils reprennent leur vigueur naturelle, redeviennent noirs et brillants ; son corps décharné change d’apparence, se renouvelle dans toute la force de sa lumineuse jeunesse. »
Les Métamorphoses d’Ovide, 43 av J.-C.

Pendant le règne de Ptolémée à Alexandrie (235-246 av J.-C.), Hérophile fut le premier médecin que l’on connaisse à avoir pratiqué la dissection publique d’un corps humain en vue d’étudier une maladie. Il décrivit méticuleusement les principales artères du cadavre humain, prenant soin de distinguer les artères des veines.

Dans l’Ancien Testament, il est fait plusieurs fois référence à la transfusion sanguine, ce qui a poussé plusieurs groupes religieux à rejeter les transfusions, pour motifs religieux. Un autre manuscrit hébreu évoque une transfusion :
« Naam, le chef des armées du roi syrien Ben-Hadad, souffrait de la lèpre et il consulta des médecins qui, pour le guérir, retirèrent le sang de ses veines pour le remplacer par celui de quelqu’un d’autre. »

Les rois de l’Égypte antique et les riches Romains et Grecs prenaient des bains de sang car ils croyaient qu’il « ressuscitait les malades et rajeunissait les anciens ». Pline l’Ancien raconta, au Ier siècle apr. J.-C., que les spectateurs se précipitaient dans l’arène pour boire le sang des gladiateurs en train de mourir jusqu’à ce qu’un décret n’interdise cette pratique, en 193 apr. J.-C.

Giovanni Battista Cybo, le pape Innocent VIII, aurait eu une transfusion aux alentours de 1490 : il était entré plusieurs fois dans un état semi-comateux et trois bergers d’une dizaine d’années avaient été sélectionnés pour être « donneurs » en échange d’un ducat par personne. Apparemment, les trois garçons moururent peu après et la santé du pape ne s’améliora pas.

Le médecin Richard Lower commença ses expérimentations en administrant des médicaments aux chiens à travers leurs veines. Sir Christopher Wren, qui allait devenir autrement célèbre comme mathématicien, astronome et principal architecte britannique de l’époque, fut impressionné par le travail de Lower et organisa des séances publiques devant des confrères de la Royal Society. Son associé Robert Boyle, célèbre pour sa loi de Boyle-Mariotte, déclara : « Grâce à cette intervention, les créatures ont immédiatement été purgées, intoxiquées, tuées ou ranimées, selon la qualité de la liqueur injectée. De là sont nées de nombreuses nouvelles expériences, notamment celle de la transfusion sanguine, que la Royal Society a condamnée à plusieurs reprises mais qui s’avérera sans aucun doute une réussite extraordinaire. »

Les détenus d’une prison londonienne furent aussitôt utilisés comme « volontaires humains ». Comme il avait réussi à remettre sur pattes un chien qui s’était vidé de son sang, Lower recommandait des transfusions pour remplacer le sang en cas de graves hémorragies. Le journal de Samuel Pepys décrit « l’amélioration du mauvais sang en empruntant celui d’un meilleur corps ». En novembre 1667, Lower transfusa 350 ml de sang de mouton à un homme appelé Arthur Coga et deux ans plus tard, il réussit la première transfusion directe entre l’artère d’un homme et la veine d’un autre.

A la même époque, en France, Jean-Baptiste Denis, jeune médecin de Louis XIV, avait également réalisé plusieurs transfusions de chien à chien, mais, en 1667, on lui demanda de soigner un garçon de 15 ans : il le saigna puis lui transfusa 250 ml de sang d’agneau. Pour la première fois, le jeune homme retrouva de la vigueur, même s’il y avait quelques symptômes d’incompatibilité sanguine. Denis continua à utiliser de préférence le sang des animaux parce qu’il pensait que celui-ci était moins à même d’« être rendu impur par la passion ou le vice ». Il pensait, comme de nombreux médecins, que le sang était le siège du caractère, des croyances et de la force.

En 1669, Antoine Mauroy, qui souffrait de démence depuis huit ans suite à un chagrin d’amour, fut confié à Denis. L’homme avait récemment traversé Paris complètement nu : sa femme, à bout, consentit à une transfusion. Denis remplaça 300 ml de sang par 175 ml de sang de veau, sans résultats visibles. Deux jours après, l’homme eut une deuxième transfusion mais fit une sévère réaction hémolytique. Le sang animal contient des protéines incompatibles avec celles de l’humain : les globules rouges des animaux transfusés sont rapidement détruits et de l’hémoglobine apparaît dans l’urine, laquelle noircit. S’en suivent alors des symptômes d’anaphylaxie : renouveler une transfusion peut être fatal. Quelques mois plus tard, Antoine Mauroy redevint violent et sa femme persuada Denis de lui faire une nouvelle transfusion, ce qu’il accepta. Mais comme la circulation sanguine de son patient s’avéra mauvaise, il dut abandonner l’intervention. Mauroy mourut le lendemain soir. A Paris, certains médecins avaient pris Denis en grippe à cause de ses expérimentations autour de la transfusion : ils persuadèrent la veuve de Mauroy d’accuser Denis d’avoir contribué à la mort de son mari. La faculté de médecine de Paris publia des pamphlets qui condamnaient cette pratique médicale. Après une longue bataille judiciaire, Denis finit par être mis hors de cause et l’on découvrit que c’était en fait la veuve qui avait empoisonné son mari à l’arsenic. La faculté de médecine de Paris publia néanmoins un décret selon lequel on ne pouvait procéder à une transfusion sanguine sans autorisation. Or, on n’accorda pas cette autorisation pendant 150 ans. Un décret du parlement français stipulait également que la transfusion était un acte criminel si elle était pratiquée en France. Ceci eut des répercussions à Londres, où la Royal Society tourna également rapidement le dos à la transfusion. Par ailleurs, en 1679, le Pape fit interdire l’intervention pour motifs religieux.

C’est James Blundell qui s’intéressa à nouveau aux transfusions. Il avait vu son professeur se servir de l’uretère d’un bœuf et de plumes de corbeau comme « tube » et « aiguilles » respectifs de façon à ressusciter des animaux vidés de leur sang en les transfusant. Blundell introduisit la seringue pour faciliter les transfusions de veine à veine. Il réussit sa première transfusion en 1818, injectant 240 ml de sang en trois heures à une femme qu’il sauva d’une grave hémorragie post-partum. The Lancet publia l’étude en 1829. L’un des « transfusionnistes » les plus actifs de cette période fut le docteur Doubleday. Il transfusa à une femme le sang de son mari et mentionna qu’après avoir reçu 180 ml de sang, la femme, jusque-là semi-comateuse, s’exclama soudain : « Bon sang, je me sens forte comme un bœuf ! ». Blundell resta un personnage controversé, comme tous les innovateurs, et fut souvent en désaccord avec la Medical Society de Londres.