A peine quelques décennies plus tard, alors que Baal avait fermé les mines américaines, Cass, un assistant irin, chercha d’autres solutions pour se procurer de l’or illégalement. Il se rapprocha de Roderic Llançol, de la maison des Borgia, qui était alors le pape Alexandre VI, et lui offrit de l’aider à conquérir les Amériques et à ramener la tombe de Marduk à Rome. En échange, Cass recevrait une part de l’or du Nouveau Monde. En 1494, en position de force puisqu’il savait désormais où se trouvaient les trésors, le pape Alexandre VI négocia un avantageux duopole avec ses bienfaiteurs, les membres des maisons royales d’Espagne et du Portugal. Il obtint que tout l’or qui proviendrait du Nouveau Monde revienne au Vatican (ainsi qu’à Cass), alors que les maisons espagnoles et portugaises garderaient l’argent et les droits sur toutes les autres marchandises et terres. Les expéditions furent financées par les banques des Médicis et, en 1521, grâce aux cartes de Cass, les énormes réserves d’or des Aztèques furent découvertes, ainsi que celles des Incas peu après, en 1533. Lorsque Cass reçut les premières livraisons d’or, il dut honorer la deuxième partie de son engagement et ramener la tombe de Marduk.
Cass rendit visite à Sokollu Mehmed, le grand vizir de Constantinople, en se faisant passer pour Topuzli-Makarije, son frère depuis longtemps perdu de vue. Il exhiba des technologies jamais vues auparavant et révéla à son frère qu’ils n’étaient pas les orphelins du monastère serbe qu’ils croyaient être : ils descendaient en fait des dieux et le sultan se servait de la tombe de leur père pour obtenir des pouvoirs magiques. Cass convainquit Mehmed de reprendre la tombe en la volant avec l’aide de ses fidèles gardiens à la cour. Une fois l’asullḫi de Marduk à l’abri, Cass, cette fois travesti en derviche, se présenta à Mehmed pour lui faire part de ses visions quant à son avenir dans le rôle de grand vizir et le poignarda à mort. Cass garda l’asullḫi de Marduk en sécurité entre 1580 et 1586, jusqu’à ce que le majestueux tombeau fût fin prêt à Rome et que les conditions de ses revenus futurs fussent garanties.
Pendant ce temps, Catherine de Médicis, fille aînée du patricien de la maison des Médicis, avait épousé le roi de France Henri II, de la maison des Valois. Quand il mourut, lors d’une joute équestre, Catherine devint régente pour son jeune fils François, qui était marié à Marie Ire d’Écosse, reine-enfant elle aussi. Sous le charme de la belle Mary, le jeune François, en compagnie de sa sœur Élisabeth, lui révéla les projets secrets de la famille Médicis. Il fut demandé à Mary, nièce du patricien de la maison de Guise, de ne pas partager le secret des Médicis avec ses parents français, sous peine de mort : il lui fut révélé que, vingt-cinq ans plus tard, la tombe de Marduk – et toute l’autorité qui allait avec – serait remis à la famille Médicis. Mais un an après son accession au trône, François mourut et Catherine vit son deuxième fils, Charles IX, couronné. Mary, craignant pour sa vie après avoir survécu à un empoisonnement, prit la fuite et retourna en Écosse. Après de nombreux assassinats et intrigues, elle s’échappa de prison et fuit en Angleterre où, à partir de 1569, elle fut placée en détention protectrice par le comte de Shrewsbury et Bess de Hardwick. En 1571, Mary, lors d’une nouvelle maladie suspecte due à un probable empoisonnement, confia à Bess tout ce qui lui avait été raconté au sujet des patriciens et de l’arrivée de la tombe de Marduk. Saisissant que l’information était de première importance, Bess forma un groupe de conspirateurs bien coordonnés, qui seraient connus plus tard sous le nom des Prétendants, pour mettre en œuvre l’audacieux projet de voler la tombe lors de son arrivée à Rome. Pendant les quinze années qui suivirent, Bess assigna Mary à résidence dans des conditions proches de l’asphyxie, prenant garde à ce qu’aucun message ne filtre jusqu’aux Médicis.
Au début de l’année 1586, s’étant rendu compte que sa réelle geôlière n’était pas la reine Élisabeth mais Bess, et que cette dernière la tuerait probablement une fois le complot mis en œuvre, Mary fit de nouvelles tentatives pour prévenir Ferdinand de Médicis. Sur ordre de Bess, Amias Paulet intercepta le mot de Mary et le remplaça par des messages impliquant celle-ci dans la conspiration de Babington, ce qui conduisit à son arrestation et sa condamnation à mort.
Bess put compter sur un redoutable trio pour organiser le vol de l’asullḫi : Thomas Cavendish, son neveu Sir Francis Drake, et son cousin Sir John Hawkins. Tous trois avaient déjà fait fortune en pillant la flotte des Indes, lors de leur carrière de corsaires, et, pendant les dix années précédentes, ils avaient réussi à placer des Prétendants à Rome, dont plusieurs au collège anglais de Rome, vivier de martyrs catholiques britanniques qui seraient envoyés faire campagne dans l’Angleterre protestante.
Mary était tenue prisonnière dans la Tour de Londres, la prison royale, et la tombe de Marduk arriva à Rome en octobre 1586. Alors que l’on était en train d’installer l’obélisque du Vatican pour achever le grand mausolée, six fidèles secrétaires des cardinaux les plus éminents furent choisis pour déplacer la tombe de la chambre du Trésor, dans le tombeau d’Hadrien, jusqu’à la cérémonie, où certaines reliques de Marduk seraient enterrées dans la boule située au sommet de l’obélisque. Parmi eux se trouvaient deux Prétendants, qui tuèrent les gardes du Vatican et réussirent à s’échapper avec l’asullḫi.
Les Prétendants cherchèrent à se rendre légitimes en tentant de s’inscrire dans la filiation de Marduk, aussi Sir Francis Drake réécrivit-il l’histoire de sa famille pour se trouver une ascendance dans la maison d’Ash, dont les membres, par leur mère Amy Grenville, pouvaient revendiquer une lignée directe de huit générations avec le roi Édouard Ier, et, par la mère d’Édouard, avec la maison de Savoie, qui compta elle-même des Maîtres Suprêmes.
Les maisons espagnoles et italiennes tentèrent désespérément de récupérer l’asullḫi, par la puissance militaire d’une armada ainsi que le biais plus subtil d’espions et d’assassins. Tout échoua. Alors que Drake réussit à convoquer une Obédience et à recevoir à la fois les curieux venus d’Europe et les puissants d’Angleterre, peu de monde assista à la cérémonie. Même son héritage fabriqué ne lui donnait pas l’autorité suffisante pour convoquer les maisons royales. Drake mourut sans descendance et lorsque Hawkins mourut, son fils était en prison. Le groupe de négociants, essentiellement des dirigeants et investisseurs de la Virginia Company, avaient un solide allié en Robert Cecil, 1ᵉʳ comte de Salisbury, qui leur suggéra de proposer de prêter de l’argent à la couronne en échange de son soutien lors d’une deuxième tentative d’Obédience britannique. On donna à ces négociations secrètes le nom de Grand Contrat. Un accord permit aux Prétendants d’« acheter » pour 400 000 livres le vaste duché de Cornouailles au Prince Charles et le lucratif duché de Lancastre au roi Jacques Iᵉʳ, sans toucher à leurs revenus. Les terres furent dès lors gérées par le conseil du prince du duché de Cornouailles et le chancelier du duché de Lancastre. Le conseil était contrôlé par l’amirauté, qui était elle-même contrôlée par les corsaires depuis près de cent ans. Il y avait toujours un vice-amiral à la présidence du conseil. Les Prétendants purent ainsi exercer un contrôle financier sur la maison royale. Robert Cecil en personne devint chancelier du duché de Lancastre. La famille royale, jusque-là récalcitrante, accepta d’assister à l’Obédience à laquelle Henry Hastings, l’un des directeurs de la Virginia Company, se présenta comme Maître Suprême. C’était un solide descendant de la maison de Plantagenêt, la plus vieille maison royale de Grande-Bretagne. Cette Obédience fut beaucoup plus suivie et eut sensiblement plus de succès, quoi qu’elle restât relativement modeste.
La première requête des Prétendants fut l’ouverture de tous les circuits commerciaux – de l’Asie, à l’est, au Nouveau Monde, à l’ouest – aux compagnies britanniques qu’ils contrôlaient. La première des nombreuses compagnies qu’ils fondèrent fut la Compagnie des Indes orientales, née en 1600. Les graines du plus grand empire financier de l’histoire allaient être semées à travers les routes du commerce triangulaire, avec des armes partant pour l’Afrique, des esclaves pour les Amériques, des épices, du sucre et du tabac revenant en Europe, ainsi que sur les routes commerciales qui emmenèrent les étoffes de coton de l’Angleterre à l’Inde – où les fabriques furent interdites, l’opium de l’Inde à la Chine, et le thé et la porcelaine jusqu’en Europe. Pendant les 250 années qui suivirent, ces deux circuits commerciaux, sans passer par des transactions en argent ou en or, en vinrent à représenter plus de la moitié du commerce mondial et rendirent les Prétendants extrêmement riches et puissants.
Cependant, au moment de la mort d’Henry, en 1643, le duc de Cornouailles, autrefois influençable, était devenu le roi Charles Ier et il se pensait, de droit divin, le roi des rois. Influencé par les écrits de son père, Jacques Ier, Charles Ier refusa d’assister à l’Obédience. Il refusa régulièrement d’écouter les Prétendants, qui étaient pourtant ses conseillers, ce qui entraîna des tensions, lesquelles se transformèrent en guerre civile. Le régicide de Charles Ier n’arrangea pas la cause des Prétendants. Aucune Obédience ne fut convoquée durant la guerre civile et il y eut peu d’échanges entre les patriciens britanniques et les maisons européennes dont ils dépendaient. William Cavendish, George Monk, un homme originaire du Devonshire, et Edward Hyde, tous membres des Prétendants, négocièrent le retour de Charles II grâce à un accord qui fut connu ultérieurement sous le nom de code de Clarendon. Ni la dénomination d’Église catholique ni le pouvoir du Pape ne furent rétablis, mais cela permit à de nombreuses pratiques de l’Église d’Angleterre de retrouver leurs racines baalesques. Les maisons de Baal s’en trouvèrent flattées, lorsque les Prétendants sollicitèrent une réunion. Charles II continua à trop dépenser, ce qui fit que les Prétendants continuèrent à contrôler la couronne, en lui accordant des prêts qu’ils n’octroyaient qu’à condition que les monopoles commerciaux qu’ils contrôlaient soient renouvelés.
Les Prétendants vécurent des hauts et des bas : la Compagnie néerlandaise des Indes orientales finit par devenir bien plus prospère que les compagnies britanniques et les trois guerres menées pour déplacer les comptoirs hollandais furent un échec. Les Prétendants comprirent que la seule solution était de négocier et ils invitèrent donc le roi néerlandais Guillaume III en Angleterre pour remplacer son oncle, le roi Jacques II. Ce soutien lui fut apporté en échange de sa signature d’une Déclaration des droits, laquelle réduisait les pouvoirs du roi de manière conséquente. Il fut ainsi privé de son droit de véto sur les lois, ce qui permit aux Prétendants de prendre le contrôle de toutes les taxes et d’interdire aux catholiques ayant des affinités européennes d’accéder à de hautes fonctions. Ses revenus annuels furent divisés de moitié. Les Prétendants s’engagèrent néanmoins à soutenir et à financer, en lui accordant des prêts à vie, sa guerre contre la France. Ces prêts allaient être gérés par une nouvelle banque nationale, la Banque d’Angleterre, strictement contrôlée par les Prétendants. Ce contrôle se faisait par l’intermédiaire du gendre de William Cavendish, le duc de Portland, et de huit agents qui détenaient des parts par procuration et des sièges au conseil d’administration, lesquels furent occupés au départ par William Scawen, ainsi que John et Abraham Houblon. On donna à Guillaume III une large part du capital par l’intermédiaire d’un directeur, Theodore Janssen, qui représentait ses intérêts. Il négocia en retour un accord avec la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, ce qui permit à la Compagnie des Indes de prospérer et de s’étendre. Au tournant du 18e siècle, les Prétendants détenaient un pouvoir considérable et ils convoquèrent une Obédience pour nommer le duc de Portland Maître Suprême, en présence de Guillaume III. Nous étions en 1700. Le premier acte de l’Obédience fut de mettre un terme à la guerre contre la France et de partager l’Espagne et les Pays-Bas espagnols entre les patriciens qui avaient assisté à la cérémonie. Les Habsbourg, qui n’étaient pas venus, perdirent sur toute la ligne. Quant aux maisons de Baal, également absentes, elles passèrent au calendrier grégorien en signe de protestation, de façon à ne plus célébrer Pâques – ou « Ishtar », anniversaire de la mort de Marduk – au même moment que leurs pires ennemis les Prétendants.