Article 5301 du CODEX: Felice et l’Inquisition
Celui qui allait devenir le pape Sixte V était un modeste frère franciscain qui eut une ascension rapide et fut envoyé à Venise pour y être Grand Inquisiteur. Ses décisions étaient d’une telle sévérité qu’il fut rappelé en 1560, avant d’être rétabli comme Inquisiteur dans d’autres villes. A l’origine, les Inquisitions étaient organisées dans chaque ville d’Europe de façon à interroger les juifs qui s’étaient convertis au christianisme pour éviter le ghetto et le vol de leurs biens.
« Comme il est absurde et totalement inopportun que les juifs, qui, en raison de leur propre faute, ont été condamnés par Dieu à un esclavage perpétuel… » : ainsi commence la bulle pontificale publiée par le pape Paul IV en 1555, laquelle donna naissance au ghetto de Rome. Elle exigeait que tous les juifs de Rome aillent vivre dans le ghetto, dont les murailles seraient payées par la communauté juive. Le ghetto fut construit sur un terrain de la ville de trois hectares qui était constamment inondé. A l’époque de Sixte V, 3 500 juifs vivaient dans de terribles conditions.
La bulle et ses différents amendements interdirent également aux juifs d’être médecins et d’employer des serviteurs chrétiens. La plupart des synagogues de chaque ville furent en outre réquisitionnées. Le port d’un chapeau jaune fut imposé, en rappel du canon de 1215 qui exigeait que les juifs portent du jaune et les musulmans des vêtements ayant le même type de code de couleur. Il s’agissait, d’une certaine manière, d’une réaction à un règlement imposé depuis le 8e siècle dans des pays musulmans, où l’on demandait aux chrétiens de porter sur eux un écriteau en plomb avec la mention « non-croyant » et deux insignes jaunes visibles de face et de dos. En Sicile, où résidaient le plus grand nombre de juifs d’Europe, le califat leur ordonna de porter un morceau de tissu en forme d’âne, des ceintures jaunes et des chapeaux particuliers. A Rome et dans toute l’Europe, des documents religieux juifs furent détruits.
Les juifs n’avaient plus le droit d’être propriétaires, même dans les ghettos, et devaient vendre tous leurs biens, en toute hâte et à bas prix. Il leur était interdit d’avoir des relations amicales avec des chrétiens et ils ne pouvaient plus exercer d’activité commerciale autre que celle de chiffonnier, poissonnier ou prêteur sur gages. Pour toutes ces raisons, de nombreux juifs s’étaient convertis au christianisme. Le rôle de l’Inquisition était donc de « prouver » que ces nouveaux chrétiens étaient en réalité des crypto-juifs, de façon à pouvoir les spolier de leurs biens. Au départ, des fonctionnaires locaux avaient voulu s’assurer un revenu et supprimer la concurrence commerciale juive. L’Église comprit vite que ceci pouvait être une intéressante façon de s’enrichir. On fixa des pénitences qui permettraient de financer la rénovation d’églises, et des fonds considérables furent ainsi constitués pour le pape qui reconstruisait alors la basilique Saint-Pierre.
Ces politiques étaient plus simples à mettre en place dans les États pontificaux, où le pape avait le pouvoir exécutif, de même que partout en Italie, où la papauté était très influente. Mais au-delà de l’Italie, les dispositions de la bulle étaient amplement ignorées. En Pologne, les responsables de l’Église ne proposèrent jamais une ségrégation des juifs car le roi et les nobles n’auraient jamais soutenu une telle mesure.
Sixte V se servit de son expérience des tribunaux de l’Inquisition pour gérer la ville de Rome et l’Église elle-même. Un large réseau d’espionnage et de surveillance fut mis en place. En vendant des offices et en levant de nouveaux impôts ruineux, le pape dégageait un énorme excédent, qu’il se plaisait à compter.
Sixte V est connu pour ses projets architecturaux à Rome et les nouvelles larges avenues qu’il fit construire entre les églises, délogeant ainsi de nombreux habitants pauvres. L’achèvement du dôme de Saint-Pierre symbolisa l’énergie qu’il mit dans la construction et la rénovation de monuments chrétiens, pillant sans vergogne des monuments romains plus anciens. Sixte V fut responsable de l’érection de quatre obélisques, dont le plus important est celui de la place Saint-Pierre.
Il approuva les Bibles de la Septante et de la Vulgate sixtines. Déçu par la progression du comité et se prenant lui-même pour un érudit, il s’en fit l’éditeur principal, gribouillant simplement quelques changements sur une édition de la Vulgate de Louvain. Ce document, plein de suppressions et de notes est appelé le Codex Carafianus. Cette nouvelle Bible voulait contrer la révolution de l’imprimerie tout comme les pensées protestantes qui émanaient de Genève et d’ailleurs. Ces nouvelles publications ne menaçaient pas seulement le monopole des idées, mais aussi le monopole du profit des ventes de la Bible. L’édition fut donc précédée de la bulle Aeternus Ille dans laquelle le pape déclarait que la Bible sixtine était la parole exclusive de Dieu. La bulle interdisait l’impression de toutes les autres Bibles et garantissait un monopole de dix ans aux imprimeurs officiant pour le Vatican. Si les églises refusaient d’acheter l’onéreuse nouvelle édition, toutes les copies existantes devaient être corrigées pour lui correspondre, sous peine d’excommunication. Pourtant, neuf jours après la mort de Sixte, cette version fut retirée de la circulation et toutes les copies furent détruites. Elle fut remplacée par la Vulgate clémentine.
Cette version parut avec une bulle pontificale semblable à Aeternus Ille, qui déclarait que cette nouvelle version de la Bible était la seule vraie version et que toutes les éditions précédentes devaient être modifiées ou remplacées. En tout, il y avait 4 900 modifications. la Vulgate clémentine resta la Bible standard de l’Église catholique jusqu’en 1979, date à laquelle le pape Jean-Paul II promulgua la Nova Vulgata, ou Néo-Vulgate.
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Sixte rêvait d’anéantir les Turcs, de conquérir l’Égypte, de ramener le Saint-Sépulcre en Italie et de faire monter son neveu sur le trône de France. Il accepta de renouveler l’excommunication de la reine d’Angleterre Élisabeth Ire mise en place parce que les Britanniques refusaient d’acheter leur alun à la papauté, qui en avait le monopole. En outre, il attribua d’importants fonds à l’armada de Philippe II, ainsi que sa protection pontificale, ce qui ne fit pas grand-chose pour protéger les vaisseaux des affres des tempêtes qui sévissaient dans la Manche et l’Atlantique.
De nouveaux décrets promirent la peine de mort aux hommes d’Église et aux religieuses qui rompraient leur vœu de chasteté. Sixte étendit à la contraception la même menace d’excommunication que celle réservée aux homicides. Ses tentatives d’introduire la peine de mort pour adultère dans le droit laïc échouèrent finalement.
Il fallut attendre 1870 pour que le concept d’infaillibilité pontificale devienne une doctrine formelle de l’Église. Quoi qu’il en soit, malgré la lignée quelque peu « complexe » des évêques de Rome, on avait la croyance, depuis l’époque médiévale, que l’autorité suprême du pape le préservait de la possibilité d’une erreur quant à la doctrine, plus qu’à la politique, et qu’elle était l’une des voies de l’infaillibilité de l’Église elle-même. Ce dogme ne fut utilisé que deux fois au cours des deux derniers siècles, pour asseoir l’Immaculée Conception de Jésus et l’Assomption de Marie.
¹ Codex Carafianus