A sept ans, Aloysia était déjà plus maline que les hommes de sa famille. Son intelligence lui coûta cher : elle attira l’attention d’un marchand d’esclave radanite qui en obtint rapidement la propriété lors d’un jeu de « hasard » l’opposant au père alcoolique de la fillette.
Esclave, Aloysia fut le témoin privilégié des absurdités du commerce de son maître : alors qu’ils cheminaient vers l’Ibérie, ce dernier exigea qu’une quarantaine de jeunes slaves soient transformés en Saqaliba eunuques, des esclaves plus rentables – opération à laquelle seuls trois d’entre eux survécurent. Bien qu’elle ne parvînt pas à se libérer des entraves de la servitude, Aloysia comprit intuitivement qu’elle avait une valeur marchande : un jour où elle passait près des Alpes dinariques, elle retint l’attention d’un seigneur serbe, Drasko, qui l’acheta aussitôt pour en faire l’une de ses reproductrices.
Bien qu’il ne fût pas sadique, à la différence de son maître précédent, Drasko faisait partie des Fervents et ne demandait donc rien d’autre qu’une stricte observation des règles. Refusant de se laisser dompter ou de s’accoupler, Aloysia dut supporter des mois de manipulation et de torture physiques et psychologiques, mais elle ne broncha jamais sous le fouet, ni ne baissa les yeux devant celui qui levait l’outil de torture sur elle. Obtenant les faveurs de Drasko, et jusqu’à son admiration, elle se servit de son intelligence et de sa malice pour négocier un traitement bien particulier : servir comme bon lui plairait.
Dans son tout nouveau rôle, Aloysia s’attela à un autre type de travail, promettant à des enfants négligés et maltraités par leurs parents, qu’elle recrutait dans les marchés de Lombardie bondés, une vie meilleure où ils serviraient de réserves vivantes de sang pour les Fervents. Lorsqu’elle comprit que ces derniers ne s’encombreraient pas avec les enfants quand ils auraient grandi, elle passa ses nuits à étudier, écumant la bibliothèque de Drasko et la longue histoire des Fervents, déterminée à trouver une nouvelle façon de leur procurer du sang. Elle y parvint en découvrant un approvisionnement qui pourrait s’obtenir discrètement : des fœtus avortés.
Elle convainquit Drasko, devenu son amant, que sa méthode fonctionnait et la plupart des Fervents suivirent. Comme elle leur avait permis de mettre un terme aux sinistres enlèvements d’enfants qui avaient failli mener la société secrète à sa perte, Aloysia fut formellement introduite parmi ses membres. Pendant les siècles suivants, dans toute l’Europe, elle entrelaça plusieurs identités pour tisser la sienne. Bien qu’elle emmêle aujourd’hui le fil de ses inventions avec celui de sa réalité, elle est devenue l’une des voix des Fervents les plus respectées.