Abeilles

Article 9200 du CODEX : Abeilles et animaux eusociaux

 

On sait peu de choses sur la durée de vie des abeilles solitaires, dont il existe 300 espèces, entre autres parce qu’elles vivent généralement sous terre, mais on estime qu’elle est d’environ deux ans : les femelles se développent sur une longue période pouvant aller jusqu’à un an et sont ensuite actives pendant une année, ne volant à l’extérieur qu’au printemps et en été.

A l’inverse, les espèces eusociales d’insectes comme les fourmis, les termites, certaines abeilles et certaines guêpes, manifestent une forme de vampirisme et sont un exemple extrême de petite élite qui ne travaille pas et vit cent fois plus longtemps que les autres membres de la colonie qu’elle tue à la tâche. Or, cela se produit alors que l’élite et les ouvrières ont le même ADN. Les reines des insectes sociaux (et dans certains cas les rois), vivent plus longtemps que les adultes reproducteurs des insectes non sociaux comparables, malgré le taux de reproduction affolant qu’elles maintiennent : en général, la longévité et la reproduction sont corrélées négativement. Les termites sociaux et les reines des fourmis sont les seuls animaux que l’on connaisse qui peuvent vivre plusieurs dizaines d’années tout en donnant naissance à plusieurs milliers d’individus chaque jour.

 

 

Faux bourdons

Les faux bourdons, les mâles des abeilles, reçoivent au stade larvaire de la gelée d’ouvrières pendant seulement deux jours, avant de passer à un régime à base de miel. Ces mâles n’ont qu’une mère et n’ont pas de père puisqu’ils sont issus d’œufs non fertilisés. ils ne peuvent pas se nourrir seuls et dépendent des ouvrières, même adultes. Ils ne sont que quelques centaines à naître chaque printemps, alors que les femelles peuvent être plus de 50 000 individus à la fois dans une ruche. Adultes, les faux bourdons ne vivent que trois semaines. Ils ont des yeux particulièrement gros, un corps lourd et doivent voler vite, tout ça pour attirer la reine. Leur temps de vol moyen n’est donc que de 20 minutes. Ils volent jusqu’à une zone de congrégation de mâles depuis plusieurs ruches différentes et tentent d’impressionner une reine. Si un mâle parvient à s’accoupler, tout son sang afflue dans son pénis, ce qui lui fait perdre le contrôle de son corps et, tandis que le corps se détache et chute, le pénis reste fixé à la reine : le faux bourdon meurt peu de temps après. S’il ne parvient pas à s’accoupler, il est expulsé de la ruche à la fin de l’été et meurt de faim ou de froid.

 

 

Workers

La durée de vie des ouvrières (les femelles) dépend de la saison : 27 jours en été et 175 jours en hiver. Les ouvrières passent leur première semaine à nettoyer les alvéoles du couvain qui sont ensuite inspectées par la reine : elles doivent être nettoyées à nouveau si celle-ci n’est pas satisfaite. Elles nourrissent les jeunes faux bourdons qui ne peuvent se nourrir seuls et donnent la gelée d’ouvrières aux larves d’ouvrières.

Les meilleures nourrices seront sélectionnées pour donner aux larves de reine la gelée royale, c’est-à-dire de la royalactine, un type de glycoprotéine qui déclenche la différentiation phénotypique des reines en activant le récepteur du facteur de croissance épidermique. Elles nourrissent les larves avec des sécrétions glandulaires issues de leurs glandes mandibulaires, hypopharyngiennes, postcérébrales et thoraciques. Associées à la gelée royale, ces sécrétions définissent quels gènes sont activés ou non via la méthylation de l’ADN. Les micro-ARN, complémentaires de la méthylation de l’ADN, déterminent si la larve devient une reine ou une ouvrière.

D’autres jeunes ouvrières, âgées d’une semaine, deviennent les préposées à la reine : elles la nourrissent et lui prodiguent les soins nécessaires, nettoyant jusqu’à son anus. Plus important encore, la reine les nourrit de phéromone mandibulaire royale (PMR) qu’elles diffusent ensuite dans toute la ruche. La PMR est chimiquement complexe et est constituée d’au moins 17 composants principaux. Elle remplit plusieurs fonctions et la recherche n’a pas réussi à isoler les effets de chacune d’entre elles. En 2002, une étude a montré que 29 ouvrières sur 250 avaient développé des ovaires dans un groupe témoin, alors que, parmi celles ayant été en contact avec de la PMR, seule 1 sur 250 avait développé des ovaires. C’est ainsi que la reine peut neutraliser la fertilité des autres abeilles reines.

 

bees

 

Lorsqu’elles sont âgées de deux semaines, les ouvrières passent à des tâches plus difficiles : production de cire, construction, scellement et réparation des alvéoles. Elles sont chargées de sécréter de la cire à partir de quatre séries de glandes situées dans leur abdomen. Elles ont également à gérer la réserve de nectar et de pollen et à la répartir dans les alvéoles, y ajoutant une petite quantité de miel pour la conservation. De plus, les parois de la ruche sont recouvertes d’une fine couche de propolis, une résine végétale, qui, associée à des enzymes et de la boue, a des propriétés antibactériennes et antifongiques. Les abeilles mortes et les larves non développées sont transportées loin de la ruche par les abeilles croque-morts. D’autres ouvrières ont la charge de recueillir de l’eau tandis que d’autres, aidés des faux bourdons, ventilent la ruche et la rafraîchissent à l’aide de l’eau évaporée. Quant aux gardiennes, elles se tiennent à l’entrée de la ruche et la défendent des envahisseurs potentiels, telles les guêpes.

Deux semaines plus tard, en été, les ouvrières deviennent butineuses et éclaireuses, parcourant jusqu’à 3 kilomètres pour trouver du nectar, du pollen ou de la propolis. Certaines abeilles restent à la ruche où elles assurent le rôle de « police » de la reine, surveillant chaque œuf pondu par les ouvrières. La vie des ouvrières estivales est très brève, sept fois plus courte que celles des ouvrières hivernales, non pas à cause de la météo, mais à cause de la charge de travail insurmontable que leur demande la reine. Cette durée de vie passe naturellement à 175 jours, même en été, quand les abeilles se trouvent dans une colonie sans reine.

 

 

Queens

Les reines sont élevées dans des cellules royales construites spécialement pour les accueillir et se développent en très peu de temps : 16 jours. Rapidement, les reines vierges identifient et tuent (en les piquant) les autres reines vierges ainsi que les reines qui ne sont pas sorties de leur cellule. Durant tout ce temps, elles poussent un cri de guerre sonore, une sorte de vibration intermittente en sol♯. La reine vit entre trois et huit ans. Elle devient mature sexuellement six jours après avoir émergé de sa cellule, ensuite de quoi elle s’envole deux ou trois fois par jour pour s’accoupler. En moyenne, pendant cette période, elle s’accouple avec 17 faux bourdons et emmagasine six millions de spermatozoïdes, qui lui serviront à fertiliser des œufs tant qu’elle sera en vie. A l’exception de ces premiers vols d’accouplement, la reine ne quittera jamais la ruche, sauf si elle part essaimer, lorsque la colonie se sépare.

La reine pond environ 2 000 œufs par jour, soit un poids total qui équivaut à celui de son corps. A un tel rythme, la ruche finit par devoir se diviser. La vieille reine part avec le nouvel essaim avant qu’une nouvelle reine vierge n’émerge d’une cellule royale. Si la reine ne pond pas assez d’œufs pour subvenir aux besoins de la ruche, les ouvrières fabriquent des larves de reine et tue la reine en place en se serrant autour d’elle, ce qui fait monter sa température et entraîne sa mort.

Seule la reine produit des œufs fertiles, mais les ouvrières peuvent également pondre des œufs non fertilisés si elles décident d’activer leurs ovaires. Ces œufs non fertilisés deviennent alors les faux bourbons (les abeilles mâles). Les larves destinées à devenir des reines produisent une grande quantité d’hormone juvénile (HJ), laquelle prévient l’apoptose ovarienne (suicide cellulaire) lors de la 5e étape du développement larvaire. Par ailleurs, l’HJ active la transcription des gènes et l’insuline qui commande que soit créée une reine, ainsi que la production de signaux chimiques de fertilité, la PMR, sur les cuticules des femelles.

Chez l’abeille, les ouvrières et les reines se différencient par des éléments associés à l’âge, notamment les hormones, la nutrition, la sénescence immunitaire et le stress oxydatif. En 1927, alors qu’il travaillait avec des fourmis, Weyer fut le premier à remarquer que les reines effectuent une ovisorption, c’est-à-dire qu’elles réabsorbent leurs œufs à l’intérieur de leur corps. A mesure que la reine vieillit, le pourcentage des œufs fertilisés qu’elle réabsorbe augmente. La signiphora, une espèce de petite guêpe, peut produire et résorber des œufs extrêmement rapidement, en deux heures seulement. En outre, la reine des abeilles mange les œufs non fertilisés des ouvrières : elle trouve une excellente source nutritive dans les trophocytes du corps gras, les cellules vitellogéniques et les ovocytes, qui lui permettent de produire de la vitellogénine (Vg). Chez la jeune reine, le taux de Vg est élevé dans l’abdomen, mais il augmente avec l’âge dans la tête et le thorax. Les vieilles reines présentent quant à elles des niveaux de Vg bien plus hauts que les jeunes reines, et les ouvrières des taux bien moindres. La Vg réduit le stress oxydatif chez les abeilles en éliminant les radicaux libres qui peuvent entraîner le vieillissement ou la maladie : sans surprise, les reines sont plus résistantes au stress oxydatif que les ouvrières. De même, le microbiote intestinal des ouvrières présente des signes évidents de vieillissement : il accumule de plus en plus de protéobactéries associées à des inflammations et des déséquilibres et révèle une carence de Lactobacillus et de Bifidobacterium bénéfiques. A l’inverse, les reines conservent des fonctions cellulaires juvéniles et présentent une succession microbienne intestinale très différente.

 

 

Police

Les ouvrières font la « police » entre elles : elles tuent les œufs pondus par leurs collègues ou attaquent les ouvrières pondeuses. Ce rôle de policières se retrouve dans toutes les colonies d’hyménoptères sociaux (fourmis, abeilles et guêpes). Le contrôle des ouvrières permet à la progéniture de la reine de dominer le groupe. Les ouvrières et la reine ont également un comportement agressif à l’encontre des ouvrières fertiles. Ainsi, les abeilles naines ouvrières ont toutes des ovaires activés et peuvent donc pondre des œufs, mais la police fait en sorte qu’ils n’arrivent jamais à maturité. Chez l’abeille asiatique, quand on enlève les reines de la ruche, plus de 40 % des ouvrières activent leurs ovaires mais les policières continuent toutefois à manger les œufs qu’elles pondent. En fait, le contrôle des ouvrières permet à la reine et à ses préposées de vivre une longue vie à ne rien faire. Dans de rares cas, les œufs des ouvrières sont porteurs d’hydrocarbures qui imitent ceux des reines et ils échappent à la police, phénomène connu sous le nom de « syndrome anarchique ».

Les reines termites peuvent vivre 50 ans et les rois 20 ans, alors que les ouvriers ou les soldats vivent entre 1 et 2 ans, à peu près comme certaines espèces de fourmis. La reine produit une phéromone inhibitrice qui empêche les reproducteurs secondaires de se développer. Cette substance est diffusée dans la colonie par les termites qui consomment quotidiennement les excréments de leurs camarades de nid. Une colonie qui comprend 1 000 ouvriers au bout de deux ans peut dénombrer 300 000 membres cinq ans plus tard. La reine, le roi et les autres termites ailés qui iront établir de nouvelles colonies plus loin, sont considérés comme les reproducteurs primaires de la colonie. Dans certains cas, la reine permet à des sous-reines secondaires ou tertiaires, qui ne sont pas ailées, de fournir également des descendants.

Les fourmis Dracula sont ainsi nommées parce qu’elles sucent le sang de leurs larves, se livrant à un « cannibalisme non destructif ». Les reines des grosses colonies se nourrissent exclusivement du « sang » de leurs propres larves. Même quand elles ont un autre type de nourriture à disposition, l’hémolymphe larvaire reste leur seule nourriture. La reine attrape délicatement une larve et lui transperce soigneusement la peau avec le bout de ses mâchoires pour aspirer la goutte d’hémolymphe qui s’en échappe. Les coléoptères Paussus femelles pondent des œufs qui éclosent sous forme de larves enveloppées d’une délicieuse odeur de fourmi : les fourmis, irrésistiblement attirées par leur bouquet, s’approchent avant de se faire transpercer et aspirer jusqu’à la dernière goutte par les voraces larves vampiriques.