Grâce à la domination de la Maison Esterházy, les juifs d’Eisenstadt survécurent aux expulsions massives d’Autriche commandées par l’empereur Léopold en 1671. Tous les problèmes ne disparurent néanmoins pas : la communauté juive de la ville se trouvait désormais isolée et il lui fallut une multitude de messagers véloces et fiables pour continuer à commercer avec les maisons juives dispersées dans toute l’Europe.
Raimund était un orphelin de 12 ans et il prit ce rôle de messager à cœur. Le garçon, vif de corps et d’esprit, était chargé de remettre des lettres de crédit dans des villes pouvant se trouver jusqu’à 70 kilomètres de Vienne. Les trajets n’étaient pas sans embûche pour un enfant qui voyageant seul. Un jour qu’il traversait Laxenbourg, il fut abordé par un groupe d’ouvriers du coin qui travaillaient sur le chantier de l’église de la ville. Ils le forcèrent à baisser son pantalon pour vérifier son ascendance juive. Ils l’entraînèrent ensuite dans un verger voisin pour le corriger et l’humilier cruellement.
Alors que les moqueries se transformaient en torture, le salut se dessina en la personne d’Aloysia, dont la calèche passait là par hasard. Elle envoya un laquais mettre fin à cette escalade de violence et lui ramener le garçon. Quand bien même il saignait et boitait, Raimund n’avait qu’une idée en tête : livrer ses lettres. Émue par la ténacité du garçon et son dévouement à la tâche, Aloysia remit ses affaires à plus tard pour l’aider à mener sa mission à terme.
Raimund, pleinement reconnaissant, lui demanda ce qu’il pouvait faire pour la remercier, annonçant qu’il n’essuierait aucun refus. Aloysia fit alors une requête surprenante : qu’il lui donne un demi-litre de son sang. Elle fut surprise à son tour quand Raimund lui offrit son bras sans question ni hésitation. Dans un moment de trouble passager, Aloysia chercha à rassurer le garçon en lui disant que son sang servirait à fabriquer des traitements pour les enfants malades de l’orphelinat qu’elle parrainait. Raimund, jeune mais
pas complètement idiot, accepta ses explications par pure politesse. Fasciné et séduit par cette aristocrate et les secrets qu’elle semblait garder, il lui rendit régulièrement visite, campant chez elle au cours de ses périples.
Aloysia appréciait particulièrement le garçon et elle le chargea assez rapidement de ses propres lettres. Raimund s’avéra un messager des Fervents totalement digne de confiance, d’une discrétion exemplaire quant à leurs secrets. Cette confiance lui valut d’abord un certain nombre de privilèges puis de devenir membre des Fervents. Il fut ainsi doté de leur longévité et en arriva inévitablement à attirer l’attention sur sa perpétuelle jeunesse. Pour échapper aux soupçons qui pesaient sur lui en Autriche, il partit pour l’Angleterre où il adopta une nouvelle identité, en tant qu’industriel. Grâce à un recours futé à des procurations et de faux héritiers, il la revêt encore aujourd’hui.