A 13 ans, Dura officiait en tant que kadesh (garçon de temple) au service de Marduk. Il assista à de nombreuses cérémonies de débauche organisées par son « Dieu » et sa progéniture : les vagues doutes qu’il se formulait quant à la divinité de Marduk se concrétisèrent quand il entendit expirer son maître pour la dernière fois, lors de son assassinat. Alors que les prêtres, les gardes et la famille de Marduk prenaient la fuite, Dura, téméraire et malin, resta dans la grande salle vide. Il comprit que les secrets du pouvoir de Marduk (divins ou non) ne résidaient ni dans son cadavre, ni dans son or, mais dans le gros appareil où l’on mêlait le sang et la semence. Invisible dans la panique qui suivit les événements, Dura fit sortir la centrifugeuse du temple déserté.
Comme il n’avait accès à aucune source d’alimentation électrique, Dura passa plusieurs mois à faire de minutieux essais – et force erreurs – en tentant de réactiver mécaniquement les fonctions de base de la centrifugeuse. C’est par pur hasard qu’il tomba sur la triboélectricité, lorsqu’un morceau d’ambre qu’il avait récupéré frotta contre la laine de ses vêtements, générant une petite charge électrique que les circuits de la centrifugeuse réussirent à absorber et à emmagasiner. Au bout d’un moment, Dura réussit à charger suffisamment l’appareil pour l’activer. Il ne lui restait alors plus qu’à l’essayer.
Il déroba le corps d’un enfant mort-né chez une voisine inconsolable et alimenta la centrifugeuse du sang encore chaud de celui-ci. Puis il se servit des crochets d’une vipère comme seringue de fortune et se versa l’enivrant cocktail de cellules souches, facteurs de croissance et plasma dans les veines, devenant ainsi le premier humain à goûter aux plaisirs régénérants des dieux.
La suite ne se fit pas sans difficulté : obtenir des quantités suffisantes de sang neuf était un défi permanent. Et l’obtenir à partir de grossesses non désirées ou non abouties posait des questions d’ordre moral. Dura se présentait comme médecin pour dissiper les doutes. Il gagna la confiance des habitants de la ville en soignant les malades. Il était reconnu pour son travail mais sa sempiternelle jeunesse et sa propension au secret inspiraient inévitablement les soupçons et alimentait des rumeurs de sorcellerie.
Comme il avait épuisé tout espoir d’anonymat, Dura dut fuir pour pouvoir s’installer ailleurs sous une nouvelle identité. Il se rendit d’abord au sud de Boukhara. Mais dû déménager de façon récurrente. A chaque nouvelle identité, sa fortune et son savoir grandissaient. Au cours de ses différentes « vies », il rassembla un certain nombre de compatriotes dévoués dont les espoirs avaient été douchés par la religion et qui recherchaient une nouvelle forme de vérité. Ce petit groupe de chercheurs et de collecteurs de sang neuf en vinrent à se faire appeler les Fervents du Sang, une société qui se consacra à dévoiler l’origine de la longévité de ses membres et à faire connaître les dieux disparus et les machines qui leur permettaient une telle longévité. Cette société fut dirigée par Dura pendant six siècles, jusqu’à sa mort. Les philosophies et les idéaux qu’il défendit devinrent une doctrine à part entière – une doctrine à laquelle tous les membres jurèrent d’obéir.