Last of the Irin est né comme la plupart des choses : en dehors de ma conscience limitée. Lorsque l’énigmatique personnage du nom de « Wildfry » s’est rapproché de mon école, c’était pour mettre à l’épreuve, plutôt que d’en donner des preuves, sa conception d’une histoire de science-fiction révérencieusement étayée de faits historiques.
Bien que les circonstances qui ont conduit ma voix à devenir celle qui allait interpréter cet acte de maïeutique littéraire m’apparaissent encore bien obscures, trois éléments me semblent avoir été déterminants :
1) Le fait que j’aie été inclus dans une présélection d’anciens élèves qui valaient le coup par un ancien professeur que j’avais cru, jusqu’à ce moment précis, infaillible.
2) L’acquisition par Wildfry d’une ébauche d’un de mes premiers scénarios au sujet de chimpanzés possédés par des démons, scénario qui – si Dieu le veut – ne verra jamais le jour.
3) Je n’étais pas cher.
Avec un départ sous de si bons auspices, le fait que j’accepte la proposition de Wildfry – qui m’offrait de le rejoindre sur son navire en Asie pour travailler au développement de l’histoire pendant une durée indéterminée — ne semblera pas nécessairement un signe de courage.
Alors que l’annexe naviguait dans la baie orientale sans nom qui devait être ma destination, mes yeux ont perçu, d’assez loin, que la maison flottante de Wildfry était, comme il l’avait annoncé, un navire et non un bateau. La validité de la distinction (et l’existence du navire tout court) m’a été un soulagement, me poussant à croire, ce que j’ai alors fait, que l’offre de Wildfry était authentique et exacte, et pas seulement un simulacre pour récolter mon sang et mes organes.
Le lecteur subtil aura déjà compris, en vertu de l’existence de ce préambule, que les événements sur le bateau se sont vraisemblablement poursuivis sans catastrophe ni sacrifice rituel. C’est en grande partie vrai et, en fait, alors qu’il y aurait tant à raconter sur chaque facette de ce voyage – dont cette introduction de l’auteur à propos de perfusions de sérum sanguin fœtal – de tels détails ne font pas partie de ce qui nous intéresse ici, tout comme l’exhaustif accord de confidentialité que je signais avant de pouvoir monter à bord (acceptation que nous pourrions également qualifier de courageuse et avisée).
On m’avait fait parcourir une distance considérable pour un coût presque aussi considérable et il était clair que mon temps à bord adhérerait à un emploi du temps strict presque exclusivement consacré au développement essentiel du projet. J’ai d’abord été présenté à l’illustrateur, un jeune néerlandais poli, qui, séquestré sous le pont depuis déjà deux semaines, avait jeté les bases du design conceptuel et du langage visuel de Last of the Irin. Si j’étais intimidé en quoi que ce soit par le talent artistique et la productivité de cet Européen sans prétention (et je l’étais), ce sentiment était tout de même atténué par ses éloges enthousiastes pour mon scénario « Chimpanzés démoniaques », évoqué plus haut.
Nous passions nos journées à assister aux réunions créatives dirigées par Wildfry, qui nous précisait les concepts essentiels autour desquels Last of the Irin serait élaboré. Alors qu’il exposait ses méticuleuses recherches personnelles de toute une vie sur les origines de Dieu et des dieux, sur les sociétés et les peuples, les croyances et les rituels, les objets anciens et les technologies, les victoires et les tragédies – le tout avec d’époustouflants détails couvrant une large partie de l’histoire de l’humanité – le défi que j’avais à relever n’était autre que de me blottir au fond d’un large sofa pour prendre des notes.
Je souffrais d’un terrible décalage horaire et le vrai travail s’est révélé ne pas laisser cette avalanche d’informations théoriques me précipiter dans la grotte d’Hypnos. Comme mon horloge interne était déréglée, j’avais toutes mes nuits, et elles m’offraient un temps précieux pour digérer mes apprentissages quotidiens avec les yeux en face des trous. Durant ces heures obscures, il est devenu évident que plus j’absorbais les idées de Wildfry, plus c’étaient elles qui m’absorbaient, et au bout de ma troisième nuit sans sommeil, les affinités naturelles entre le passé, le présent et le futur se sont révélées à moi avec une clarté absolue.
Le concept de la fiction de Last of the Irin n’était pas de réinterpréter le passé, mesurais-je, mais d’y revenir et de le redessiner sous une forme qui conviendrait à notre temps, de nous débarrasser de la continuité littéraire devenue le collier serré autour de notre cou qui nous empêchait d’avancer. Quelle meilleure forme pour cela que le roman graphique, dont la tradition perpétue des cycles de crises et de renaissances à chaque fois que la fiction renverse les origines du récit ?
Des vérités fondamentales à l’intérieur de fictions de haute volée, non pas pour trouver un public mais pour être trouvées. Pour atteindre ceux qui, tout comme cet auteur en a fait l’expérience un jour, se lancent sans avoir conscience de ce qu’ils vont trouver, mais qui, dès qu’ils en font la découverte, savent reconnaître une chose dont la preuve n’est rien d’autre qu’un reflet à travers la fenêtre qu’ils ont créée : notre société est une lignée faiblissante qui reproduit des rituels vides par habitude. Si la revigoration passe par une perfusion de sang neuf, pourrait-il y en avoir de meilleur que celui de nos vieux pères, oubliés depuis si longtemps ?
Le temps le dira. Quand le travail sera fait.
Robert McMillan